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.ce qu’il restera de nos soleils. |chronologie & soliloques|
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Lun 28 Fév - 11:55
ft. Dimitri A. Blaiddyd | FE3H
VAILLANCE

.
.
.

Too late I’m dead

SET ME AFLAME AND CAST ME FREE — AWAY, YOU WRETCHED WORLD OF TETHERS — THROUGH THE ENDLESS NIGHT AND DAY I HAVE NEVER WANTED MORE

hollow lightto burn anew .01/08/1642 : création de Hyll par Cicérone
.20/11/1653 : apprivoise officiellement Vertu
.05/08/1671 : rencontre Solstice
.10/04/1674 : début de sa relation amoureuse avec Solstice
.15/03/2011 : meurtre de Vertu
.27/03/2011 : est banni de Ciranne suite à l’assassinat de plusieurs Âmes
.09/04/2012 : se crève l’œil ; est sauvé par Vertu puis Solstice ; trouve refuge dans les Grottes étoilées
.06/03/2022 : disparition de Solstice
.21/06/2022 : subit une apocalypse sur le Toit du ciel ; fin de son deuil
.22/06/2022 : retourne auprès de Cicérone afin d’être effacé — renaissance de Hyll
Expediente
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Lun 28 Fév - 11:57
.Mars 2022.



Jamais Hyll n’aurait cru que la Lumière puisse un jour le quitter.

Par Lumière, il n’entendait cependant pas un synonyme d’espérance ni même de joie, pas plus que le terme n’évoquait en lui une quelconque clarté naturelle, pâle lueur afférente aux étoiles — non, laissons cela à la foultitude —, car sa Lumière à lui, celle qui apparaissait la première à son esprit sitôt que l’on prononçait ce mot, répondait à un tout autre nom, de sorte qu’après des siècles écoulés en sa compagnie il lui était devenu ordinaire de songer que le Soleil représentait d’abord une personne plutôt qu’un astre, que les doigts de l’Aube étaient peints de buisson ardent et non de rose, ou que les nuances d’Aurore annonçaient moins les prémices d’une nouvelle journée que les appétits voraces d’une dragonne. Depuis qu’ils s’étaient rencontrés, pas une fois ne l’avait-elle abandonné ; et s’il est vrai que ce fait ne l’empêcha pas de sombrer par le passé ni de perdre plus d’une fois le chemin de la raison, il était tout autant convaincu que rien en ce monde n’était véritablement en mesure de les séparer, aussi longtemps qu’ils existeraient. Rien ni personne ni même le Temps ou l’Espace, puisque partout où Hyll se rendait il emportait à l’intérieur de son âme un éclat chaque jour plus puissant, chaque jour plus éblouissant, chauffé au foyer de leurs souvenirs communs, telle une rémanence indéfectible de ce qu’ils ne cesseraient jamais d’être l’un pour l’autre.

Jamais la Vaillance n’aurait cru que le Zénith puisse un jour arrêter de briller.

Il ne s’en alarma pas tout de suite, d’ailleurs, tant cette pensée lui était devenue étrangère, inconcevable, eu égard aux trois cent cinquante dernières années écoulées. C’est pourquoi en rentrant ce matin-là d’une chasse d’à peine une semaine, il ne fut pas surpris plus d’une seconde de remarquer que la Grotte était déserte. L’amas de fourrures qui leur servait de couche ne conservait nulle empreinte ni tiédeur, tout juste quelques cendres usuelles à l’endroit où avait ruisselé cette chevelure de flammes qu’il adorait, et l’absence d’Aurore la dragonne le dissuada d’appeler — elle et son cavalier avaient dû s’octroyer une brève escapade dans les premières chaleurs de ce printemps précoce, afin de célébrer la fin tant attendue de leur hivernage.
Comme de coutume, Hyll s’attela à ses tâches de retour. D’abord, il débarrassa Vertu de cet ersatz matelassé de selle protégeant ses vertèbres exposées de l’usure provoquée par la cuirasse qu’il portait, armure dont il se défit à son tour avant de s’emparer d’une petite brosse, d’un chiffon et d’un pot de graisse de Cauchemar ; là, il dépoussiéra les recoins du fer, désincrusta les jointures selon la nécessité, astiqua plastron guêtres et l’ensemble de ses protections tandis que son Picoti patientait assise près de lui à l’instar d’un gros chat, et quand il en eut fini avec ses effets, il prit délicatesse de frotter les longs os qui furent jadis les ailes de cette géante d’ivoire, de même qu’il lustra son crâne avec affection avant d’appliquer une caresse de sa main nue sur ce bec assez large pour la lui arracher d’un geste un peu trop joueur. Vertu avait beau ne plus avoir de paupières, il devinait sans mal qu’elle les avait fermées de bonheur.
Quand il eut enfin terminé ses soins, il tourna la tête vers l’entrée de la caverne.
Mais il n’y avait personne.

Jamais il n’aurait cru qu’Il puisse un jour.

À l’extérieur, la luminosité se fit plus forte au fur et à mesure que les heures filèrent — bientôt, ce fut le plein midi. Les distractions comme le labeur faisant de toute évidence défaut à leur vie de bannis, Hyll n’avait pas l’embarras du choix quant à ses occupations ; certes, il aurait pu repartir tout de suite en quête d’une victime neuve, la ramener ici comme le fauve rapporte sa proie et lentement l’écorcher jusqu’à se lasser de la regarder se débattre, sauf qu’il ne voulait pas risquer de rater ses retrouvailles en se trouvant de nouveau au loin au mauvais moment. Aussi fit-il preuve de patience et se contenta-t-il, quoiqu’avec un mécontentement variable, de vérifier le bon état de leurs affaires respectives, d’arranger le treillis des lianes qui leur servait d’éclairage, de visiter l’autel de cristaux sales grossièrement sculpté dans l’immense alcôve d’une cave attenante, là où il avait l’habitude de retrouver sa Lumière en train de s’abîmer dévotement, et de s’y allonger en songeant à toutes les profanations qu’il ne manquerait pas de lui consacrer sitôt entre ses bras.
La journée s’échappa ainsi, languide. Alors parurent les premiers signes du déclin, la teinte rougeoyante du crépuscule dans laquelle Hyll sortit se nimber en vue d’accueillir son amant. Il se tint sur une flaque de soleil dont la radiance pommelée eut le mérite d’occuper sa vision un long moment, mais toute scintillante fut-elle, elle ne put camoufler plus longtemps le sentiment tapi au fond de son esprit. Le sentiment qu’il n’avait pas vu ramper depuis le début de l’après-midi en filigrane de son ennui, trop discret pour être discerné, auquel il ne savait encore donner de nom — néanmoins c’était là, diffus, insondable, minuscule graine de vérité semée dans le chaos de son âme, une aberration qu’il ne pouvait plus occulter maintenant que la pénombre vespérale se rappelait à lui de la plus implacable des manières. Il glissa son œil en direction de Vertu, dont la posture guindée laissait entendre qu’elle partageait son incompréhension, se retourna vers les profondeurs de la forêt alentour. Il n’y avait toujours personne.
Rien.
Rien que les ténèbres envahissantes, l’inéluctable embaumement du jour dans le linceul de la nuit.
Rien.
Et tandis que l’inquiétude distillait son lugubre parfum au flot de ses veines, un violent effroi vint s’emparer de son cœur — entrouvrir ses lèvres, agiter son regard — à l’instant où il sentit, durant cette brusque confusion que seule génère le rejet d’une réalité que l’on ne peut tolérer ni même reconnaître, où il sentit d’un coup unique se propager à travers sa chair un gel intense venu de l’intérieur et non de l’obscurité du dehors, où il sentit dans toute sa fatalité
que c’en était fini
jamais il n’aurait cru
que jamais plus le jour ne se lèverait sur lui.
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Sam 5 Mar - 13:07
Toit du Ciel, été 1671.

Pas une Âme ne vivait au sommet des montagnes.
En toutes saisons, le paysage sur les hauteurs des crêtes ressemblait à une lune de roches blanches aux reflets d’ocre et de céruléen, vaste mosaïque désertée par l’empreinte humaine, et seul l’hiver daignait y porter un changement uniforme en la dissimulant sous une mie épaisse de flocons. C’était cette peinture immaculée qu’Hyll connaissait le plus, pour ne guère aimer y traîner ses semelles par les fortes chaleurs de l’été, mais aujourd’hui impossible de se soustraire à cette requête-ci, en aucune façon — l’Ordre émanait de plus haut que le ciel —, aussi avait-il attendu que l’après-midi décline en un de ces interminables crépuscules avant de s’envoler pour les cimes en quelques battements d’ailes de Vertu. À dire vrai, cette précaution quant à l’horaire lui avait été intimée par son intuition autant que par Cicérone en personne, entre autres recommandations à demi-voilées, comme si elle s’était refusée à lui fournir les réels enjeux de sa mission. En obédient soldat, il avait fait peu de cas de ces mystères ; la Parole n’entendait pas d’objection.

Afin d’épargner à son Picoti une marche pénible parmi les rocailles, il avait laissé Vertu un cran plus en aval de l’étroit plateau où, selon les directives, il était censé trouvé son objectif. Il n’eut d’ailleurs pas à le chercher longtemps, ni même à le débusquer d’une quelconque manière, car dès lors que son regard franchit la dernière ligne de pierre avant le relief, il le découvrit là, immobile, à moins d’une vingtaine de mètres. Semblant l’attendre. La Vaillance ne s’en étonna point en retour ; bien que sa venue n’ait sans doute pas été annoncée, il avait effectué un rapide survol du massif avant de s’y poser — avait dû être aperçu à ce moment, — tout comme lui-même avait discerné fugitive, lueur d’ambre sur cette lande mordorée, la silhouette qui désormais lui faisait face. Elle le dévisageait en silence, tout de voiles nimbée, de loin pareille à ces pleureuses de peinture antique errant sur quelque crête méditerranéenne ainsi que d’inconsolables spectres, et Hyll avait d’abord songé, fugace, qu’elle ressemblait davantage à l’ombre éplorée d’un cyprès de flammes qu’à une idole numineuse. À l’évidence il n’en était rien, car sous sa mante d’anthrax la Lumière irradiait d’un éclat puissant qu’elle ne pouvait trop étouffer, sinon à grand peine qu’en cet instant elle essayait tant bien que mal de se donner — cependant le Passeur lui en sut gré de cet effort : s’il avait été véritablement indésirable, c’est une fournaise qui l’aurait accueilli. Elle n’aurait pas même tenté d’occulter ses rayons derrière une étole. Pour autant, dès qu’il se mit à avancer il fut arrêté d’une sèche sommation :
« N’approchez pas. »

Le couchant incendiait d’un bleu fauve l’horizon tout entier. Les cieux eux-mêmes cessèrent de respirer et, durant une pulsation immobile, la Vaillance crut que le crépuscule lui-même allait oublier de s’assombrir, qu’il suspendrait sa chute un temps de plus — celui dont elle s’empara pour faire fi de l’avertissement, celui qui la vit s’approcher sans faillir, mue par son impératif, sous les yeux du Zénith qu’une telle impertinence avait rallumés.
« Vous êtes mandé par Cicérone, déclara Hyll tout en continuant de combler l’espace entre eux. Je suis ici afin de vous ramener à Ciranne. »
Parvint-il à décrypter l’éclat qui traversa le regard de la Lumière à ces mots ? Probablement pas. C’est qu’il ignorait tout de l’histoire millénaire liant les deux entités, lui qui du jeune de ses presque trente ans venait tout juste d’atteindre l’âge de son apparence, lui qui demeurait soumis aux connaissances que l’Originelle lui avaient prodiguées à ce sujet — c’est-à-dire aucune — et qui ne pouvait donc deviner tous les griefs que nourrissait la Lumière à l’encontre de sa créatrice. Peut-être que s’il avait su, il aurait agi différemment. Toutefois, sa naïveté peut-être, source de son insolence, avait-elle aussi ce jour-là aidé à ce que le Soleil lui accordât une seconde chance de tenir ses distances.
« N’approchez pas ou vous brûlerez. »
La menace rémanait, indéfectible, mais pas autant que la Vaillance elle-même. Cela s’était entendu dans la vibration, dans l’insignifiante inclination de cette voix où sourdait l’esquisse timide d’une inquiétude — refus de recourir à cette extrémité ou constat amer que de ne pouvoir s’en empêcher ? Nul ne sut.
Alors Hyll décrocha sa cape et, d’un geste qu’il maîtrisait suffisamment, appliqua son don sur le tissu qui en prit sur-le-champ l’aura invincible ; il finit ensuite de se rapprocher du Zénith dont le propre vêtement montrait déjà çà et là des signes d’embrasement, incapable de résister plus longtemps à la chaleur de son corps. Puis, sans qu’il eut besoin d’exprimer sa pensée, et parce que la Lumière avait deviné son intention à la seconde où il avait levé la main vers son col, il la laissa se retourner afin qu’il pût placer la protection sur ses épaules. La silhouette noire disparut aussitôt dans un drapé gracieux au bleu royal, des chevilles à la nuque, dissimulant jusqu’à cette crinière de grenat qui reflétait naguère le ciel — instillant en Hyll un bref sentiment de regret dont il ne sut vraiment comprendre l’origine.

« Cela ne couvrira pas votre visage, mais ce sera suffisant jusqu’à ce que nous soyons de retour à la Cité. Vous serez ainsi protégé autant que vous protégerez les autres. »
Il n’avait pas terminé sa phrase que le Soleil leva son œil sur lui par-dessus la fourrure brillante où s’étaient noyées ses joues, étoile miniature enchâssée dans une fine amande, avant de se retourner complètement. La Vaillance ne s’en démonta pas, et son mouvement de recul était moins un geste de respect qu’une invitation à quitter les lieux. Aucune raison de s’éterniser ici, maintenant que l’opération touchait à sa fin ; en partant tout de suite, ils atteindraient Ciranne à l’instant du rayon vert. Ils pourraient de fait passer la nuit au Dôme avant de se présenter à l’aube devant Cicérone. En douceur, les doigts du Zénith vinrent réajuster le pan de la cape devant son buste ; hormis sa figure et ses pieds nus, il ne donna sur le moment plus à voir aucun bout de peau — même si ses foulées, dès qu’ils se mettraient en route, s’empresseraient de dévoiler les longs rais de ses jambes.
« Venez avec moi. Nous tâcherons de vous offrir de meilleurs habits en ville. »
En guise d’ouverture de la marche, il ne manqua pas d’ajouter, enfin : « Mon nom est Hyll. Et le vôtre ? »
Et la Lumière eut un infime plissement de paupière, cet imperceptible ombrage signifiant je sais très bien qui vous êtes, et qui rendit soudain le couchant aussi vif que sa réponse fut délicate :

« Solstice. »
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Sam 26 Mar - 11:13
.Mars 2022.



« Vertu, on repart ! Tout de suite. »
Mais la Picoti n’avait pas attendu qu’il finît sa phrase pour se raidir et présenter sa croupe, consciente au ton virulent de son maître que l’ordre ne souffrait aucun délai, alors Hyll n’eut qu’à jeter sa cape plutôt que la selle en travers de ses vertèbres, s’emparer de son armure puis bondir sur l’animal qui s’échappa au galop — et dans son empressement toutes les attaches de son plastron n’étaient pas encore scellées qu’ils quittaient la Forêt écorchée en direction des Plaines, plus graves encore que le fracas du tonnerre.


Suivirent des jours et des nuits où ils parcoururent sans relâche les mille recoins de l’Entre-passe, traversant en long large diagonale les prairies de droite à gauche ou de gauche à droite, et jamais les Lieux ne virent-ils plus souvent monture et cavalier filer à travers leurs vastitudes comme si le monde derrière s’écroulait sur leurs talons. Qui aurait pu deviner que ce fût véritablement le cas ? Partout où la Vaillance se rendait, partout où son œil ne distinguait pas l’aura ambrée du Zénith, la pénombre engloutissait l’endroit ainsi qu’un puits où il aurait laissé tomber ses espoirs, tandis qu’une nouvelle aiguille de détresse venait perforer le métal de son torse pour se ficher dans un myocarde que l’absence essorait de tout son sang. Où es-tu ? appelait son esprit, où es-tu ?? s’époumonait-il — et le silence était seul à lui répondre — et le vide était seul à se présenter à lui.
Les Âmes qu’Hyll croisa durant cette période préférèrent fuir plutôt que d’entendre sa requête ; cependant personne n’aurait pu les blâmer pour leur instinct de survie puisque, à leur place, n’importe qui aurait mieux fait d’esquiver plutôt que de confronter pareil démon mu par son désespoir. Les anciennes qui le connaissaient de réputation s’égaillaient aussitôt à son approche et, pour peu qu’il les poursuivît afin de les interroger sur la présence de Solstice en tel ou tel endroit, il obtenait invariablement le même résultat. Balbutiements timorés. Front bas. Négation. Quant aux défunts récents, ignorant le plus souvent tout du bannissement de ces deux Passeurs ou de leur histoire, n’ayant comme frayeur que celle que l’on nourrit face à un chien enragé, il leur arrivait de balancer quelque ineptie sur la date du calendrier, l’horaire de la journée ou leur programme estival. Il les aurait massacrés. Tous. Un par un. Il les aurait éventrés à coups de poings, vociférant que son amour n’était pas un putain de gradient cosmique, il leur aurait enfoncé sa rage de la glotte jusqu’aux tripes, sur toute la longueur de son bras — quand l’unique chose qui sauvait ces ignares était la précipitation avec laquelle il faisait volte-face pour réitérer plus loin, auprès de nouveaux quidâmes.
Ne pas perdre de temps.
Chaque seconde le torturait davantage que la précédente. Chaque seconde à ne pas savoir, à se rembobiner les images de ces dernières semaines, de ces derniers mois, pour tenter d’y dénicher un indice, une allusion, un double-sens dans les paroles ou les gestes de son aimé, qui aurait pu expliquer sa disparition — était-ce prémédité ? Un accident ou bien le fait d’un Cauchemar ? Ne pas savoir le rendait plus fou encore, quand la pensée même de songer que le Zénith était blessé ou prisonnier quelque part lui filait des envies de retourner ce monde ainsi qu’un vieux tapis qu’il aurait jeté au feu pour le purger de tous ses parasites.
Le feu, pourtant, c’était Solstice. Cela avait toujours été lui.

Solstice et sa chevelure de comète, Solstice aux erres de nymphe volcanique ; Solstice dansant sur les braises comme d’autres sur les tables, Solstice et ses mains d’âtre, son regard d’étoile, sa bouche vestale ; Solstice à l’arôme de cendres et de démence, tout entier à lui, sans secret, sans non-dit, Solstice plus dévoué que personne ne l’avait jamais été. Sa flamme, son foyer.

Solstice enfui, et lui caracolant dans les Plaines sur le pas de son ombre toujours plus immense, toujours plus sombre à chaque instant passé sans sa Lumière, cramponné à l’encolure de Vertu que la fatigue ne suffisait pas à faire défaillir. Ce n’était pas son maître qui la pressait néanmoins, car elle s’obligeait elle-même à conserver son allure, à ne pas ralentir tant qu’Hyll ne le réclamait pas : une manière animale de le soutenir, de lui prouver qu’elle ne le laisserait pas endurer ces affres en solitaire et qu’elle l’accompagnerait jusqu’au bout, jusqu’à s’écrouler d’épuisement s’il en avait besoin. Elle était tout ce qui lui restait — et ne le devinait que trop bien, malgré le peu de considération que lui témoigna son cavalier durant cette cruelle période.
Ces recherches durèrent plusieurs semaines. Plusieurs semaines sans repos d’aucune sorte, sans la moindre parcelle d’espérance quant à des retrouvailles, plusieurs semaines où la frénésie le disputait à l’agonie puis, quand il n’y eut plus un arpent vierge à inspecter, quand la terre ne fut plus qu’une lune austère à l’intolérable indifférence en tout point de sa surface, et qu’il ne resta plus à son sternum qu’à s’enfoncer à son tour dans la béance vorace que la douleur avait creusé au fond de sa poitrine, Passeur et Picoti prirent le chemin des Grottes. Croire que le Zénith les attendrait sagement ne leur effleura même pas l’esprit pendant que leur silhouette abattue déchirait la quiétude des marécages. Le pas de Vertu traînait, lourd de défaite. Quant à la Vaillance, à peine consciente de son environnement sinon par instinct, elle regardait vers le sol, l’œil hagard, perdue en elle-même, dépossédée de son âme. Un spectre n’aurait pas eu plus de consistance qu’elle à ce moment, mais elle n’en avait cure ; le seul qui eut pu s’en inquiéter véritablement était parti.
Le Marais les suivit du coin des lianes, ne prétendant pas se risquer à les retenir. De toute façon, Hyll n’avait jamais trop approché ces Esprits qu’il était incapable de percevoir, et depuis son bannissement ceux-ci lui rendaient sans vergogne son insensibilité — pourquoi aurait-il donc demandé à être pardonné ? Jusque dans son habitat il était seul, debout envers et contre tous, et ce sort ne l’avait jamais tant dérangé jusqu’à lors : il s’était résigné à la solitude, s’en était accommodé puisqu’il n’avait vraiment besoin de rien d’autre que ses deux amours, sauf que maintenant qu’il en avait perdu un pour toujours l’univers s’effondrait au fond de ce gouffre insondable, mâché de noir comme l’entrée des cavernes, rogné d’ocre comme l’alcôve de son orbite.

Il avait tout juste atteint le seuil de leur antre pour y poser pied à terre que la douleur implosa dans son crâne. Le choc le mit à genoux, entraînant Vertu que la stupeur avait fait trébucher de concert, mais déjà il ne voyait plus rien autour de lui que d’abstraites formes à la luminosité douteuse, un charivari d’étincelles provoquées par cette souffrance explosive jaillie de l’intérieur. Brutalement, il porta une paume à son œil manquant, croyant le sentir se reformer au creux de son néant. Une illusion. Une simple illusion, et néanmoins si concrète qu’il pouvait presque suivre le remous filandreux des cellules en train de s’agglomérer en un nœud humide, nerveux. Tangible. D’un mouvement sec, ses ongles décrochèrent l’opercule de cuir comme si elle avait pris feu — il n’en était pourtant rien. Puis, à la seconde où il redressa la tête, il eut la sensation qu’une main glacée lui frôlait la tempe, une main gracile de jeune fille, tiges de neige au toucher de velours, dont il devina tout de suite à qui elle appartenait. Malgré le sursaut qu’il accusa afin de se dérober à ce contact indésiré, le froid persista. Il s’intensifia même, avec dans son sillage l’écœurement d’apercevoir à travers la nébuleuse pailletée de son supplice cette silhouette enfantine qu’il haïssait tant. Il l’aurait discernée sans même la voir, en vérité — ce ne pouvait être qu’Elle. Elle apparue pour le prendre en pitié, pour se repaître de son désespoir et jouer les compatissantes, Elle et ses intolérables cajoleries, soucieuse et dévouée, la Commandante sans cœur, le sherpa millénaire au bâton de ronce, intransigeante Maîtresse. Ha ! Était-ce de sa faute si Solstice avait disparu ? Hyll n’eut pas l’opportunité de poser la question qu’Elle enfonça trois doigts gelés au fond de son orbite.
Le geste lui arracha un cri sourd, nonobstant l’irréalité ; une part de lui savait que cette vision relevait de son don corrompu, or il n’aurait pas eu plus mal si on lui avait planté un authentique épieu de glace dans la cervelle. Elle ne s’attarda guère, cependant, car sitôt elle retira ses pics d’un élan contraire, sans égard pour le râle du Passeur agenouillé. Une bille de lumière scintillait entre ses griffes délicates, une gemme à l’éclat fauve, ardent joyau qu’Elle ramena vers Elle. Hyll en reconnut la lueur tout de suite, derrière la lame de douleur qui l’avait submergé.
« Ne me l’enlevez pas. »
Il ne s’entendit pas articuler ces mots.
Son bras s’élança pour récupérer son bien — son inestimable trésor.
« Ne me l’enlevez pas !! »
Il se jeta sur le spectre de tout son poids. Le monde autour de lui ondulait en vagues lancinantes ou en brumes de plus en plus opaques, de plus en plus folles, quand ses phalanges devenus serres avides de déchirer l’ennemie étaient la dernière chose qu’il contrôlait vraiment. Tout en empoignant à pleines mains la tête de l’apparition, il vint l’écraser au sol avec un bruit sec. En lui brûlait l’intention de l’y enterrer d’un même élan, de l’y marteler jusqu’à ce qu’il n’en subsiste qu’une bouillie ectoplasmique à piétiner. Qu’Elle lui rende son aimé. Qu’Elle lui rende Solstice.
« Vous n’avez pas le droit de me le prendre. Vous n’avez pas le droit... »

Hyll ne saisit pas tout de suite la nature de ce qu’il tentait de broyer entre ses doigts. Ne saisit pas tout de suite que les illusions, pour ce qu’il en avait observé durant des siècles qu’elles le hantaient, ne font pas ce genre de sons. Un bruit sec. Un craquement, là sous la pression de son pouce, aveu d’une résistance qui cède. Il se figea. Le flot de sa colère reflua d’un cran sous le rebond de la lucidité, libérant une fine fente à travers laquelle vérité et mensonge se démêlèrent dans un bruissement horrifié. Ce n’était pas un fantôme au ruban rouge qui le dévisageait, goguenard quoique sans faciès, non. Pas d’esprit fumeux de Cicérone. Pas même d’humain, d’ailleurs. Il n’y avait face à lui que la sculpture calcaire, désarmée et silencieuse, de sa Vertu, son crâne d’Oiselle fidèle étreint dans l’étau de ses mains — et le bruit qu’il avait perçu, le petit bris d’os, c’était cela aussi. Sous son orbite cave, à droite, le dessin d’une fêlure, minuscules miettes tombées à terre, pareil à un delta de racines. Vertu n’avait pas poussé un cri. Elle aurait pu aisément se dégager de l’emprise, ruer ou même renverser son cavalier pour le ramener à la raison. Mais elle ne l’avait pas fait. Elle était restée là, brésillée par ces paumes qui l’avaient si souvent caressée, elle n’avait pas voulu se retourner contre lui à cet instant ; et lui lisait au fond de ses cavités blanches tout ce qu’elle ne pourrait jamais dire à voix haute, il y déchiffrait toute sa loyauté, son chagrin partagé, l’abysse de désarroi où elle refusait de se noyer afin de perdurer à ses côtés, de le soutenir, de l’empêcher de sombrer — et il y trouvait aussi, transcrit en échos muets, combien elle savait qu’elle était incapable de soulager sa peine, de le réconforter assez, impuissante à compenser l’absence du Zénith par sa compagnie pourtant ô combien essentielle. Alors elle l’avait laissé déverser sa hargne sur elle, emporté qu’il était par la colère et la douleur, et elle l’aurait laissé briser son squelette jusqu’à n’être plus qu’un amas de rien si cela pouvait alléger ne serait-ce qu’un peu sa tristesse. Elle aurait accepté qu’il la détruise tout entière, si cela pouvait l’apaiser. Si cela pouvait le faire revenir.

Hyll glissa son pouce à l’endroit de la fissure, comme s’il y essuyait une larme de poussière. La prise de conscience de sa violence avait tout soufflé : rage, paroles, identité, raison, pensées. Ne subsistait que la désolation — un vide intense aux tréfonds de son âme. Ce qu’il venait d’infliger à Vertu était inexcusable ; il aurait tué n’importe qui pour bien moins que ça. Mais lui ? Les Passeurs ont-ils le choix d’abdiquer ? Vain dilemme. Il était la Vaillance. Et la Vaillance ne peut abandonner. Jamais.
Jamais.

Jamais.

Il referma ses bras autour de son Picoti. Peu importait qu’il fût toujours à genoux, qu’il fût misérable ou pitoyable, qu’il méritât sa déchéance ou qu’il attisât la haine. Peu importait qu’il ne pourrait jamais être pardonné. Il était épuisé. De tout. De lui, surtout. Vertu ne bougeait pas. Maintenant que l’ouragan s’était calmé, elle retrouvait entre ces doigts tremblant de honte l’ombre de cette affection qu’il éprouvait pour elle depuis bientôt quatre siècles, et rien ne la rendait plus heureuse que de le savoir de retour de son égarement, de nouveau conscient, de nouveau lui-même, aussi éphémère soit le moment. Dans cette grotte hors du temps, ils n’avaient besoin de rien de plus.
Pour eux, l’éternité commençait au contact de leur front l’un contre l’autre.
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Dim 10 Avr - 15:24
[Ça se bécote gentiment là-dessous, alors vous lisez en toute connaissance de cause ~]
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Dim 22 Mai - 22:36
.Juin 2022 — jour du solstice.


Trois mois étaient passés.
Trois mois de silence, trois mois d’absence.
Trois mois d’obscurité.

Après la blessure qu’il avait infligée à Vertu et l’apocalypse qui s’en suivit, Hyll s’était retranché au plus profond des grottes, au plus noir de leurs anfractuosités, là où même les lianes ne venaient pas suspendre l’éclat chatoyant de leurs drupes, là où le murmure de la terre était l’unique chant parcourant les veines minérales, à l’unisson avec son cœur. Aucune lumière n’y allumait la moindre vitalité et lui y régnait en monarque éteint d’un royaume de ténèbres, lèvres closes sur son malheur, paupière scellée sur le monde. Pareil à ce rêve qu’il avait autrefois eu en compagnie de Pivoine, celui-ci n’était désormais plus qu’un désert de cendres, prairie de lune noyée de pénombre, et il savait que personne jamais plus n’en raviverait la lueur. La lumière était morte — sa Lumière était morte. Ne demeurait que le vide, ironiquement présent, un vide dévorant, plus affamé que lui-même, qui l’avait englouti d’une seule morsure. Il ne restait rien d’autre.
En trois mois, Hyll avait cru, mais l’avait-il seulement espéré ?, que le Temps apaiserait la tristesse, que l’isolement attiserait la plus infime envie de revoir âme qui vive, que sa colère germerait de nouveau pour soutenir son squelette. Il avait pensé, recroquevillé dans ce ventre de roches, que les jours et les jours en cohorte invariable finiraient par étouffer sa peine et faire place à une ardeur nouvelle, une rage contre l’injustice de la situation, un désir de connaître la vérité, n’importe quoi qui l’aurait gardé debout durant des siècles encore — mais
rien
rien

Rien que la douleur.
La douleur physique d’un myocarde qui ne sait plus pourquoi il bat alors que chaque pulsation est une pincée de sel sur une plaie ouverte, qui ne sait plus pourquoi il se bat quand chaque seconde est un rappel de l’intolérable, un pas supplémentaire dans un labyrinthe de souffrance dépourvu d’issue. Contre toute attente, la colère s’était enfuie pour ne plus reparaître, comme si dans ce contexte elle s’était refusé d’elle-même d’avoir voix au chapitre ou, peut-être, qu’elle n’avait trouvé aucune chaleur capable de l’embraser ; le chagrin même, qui durant les premières semaines avait résisté à l’inertie du Passeur, s’était réduit jusqu’à disparaître tel un vélin, vaincu en fin de compte par les lames de la désolation dont il avait pourtant aidé à la création ; quant au désespoir, après avoir si férocement labouré de ses griffes le thorax de la Vaillance, il s’était retiré d’un élan princier, tout drapé de sa superbe, ainsi qu’un croque-mort dont le travail s’est achevé.
Seul le vide avait perduré. Avec, pour en remplir l’immensité carnassière, le silence.
Pendant ce trimestre de printemps, personne n’était venu contrarier son isolement à l’exception d’un trio incongru dont l’intervention s’était faite aussi brève que saisissante — bien que l’exploit de l’avoir tiré de sa retraite n’eût à l’époque guère retenu l’attention — et il avait pu constater à cette occasion que ses muscles étaient capables par instinct de se mouvoir à nouveau, intacts, à peine un peu plus engourdis qu’auparavant, empesés de cette torpeur caractéristique de celui qui se réveille d’une nuit sans rêves. Pourtant, s’il avait pu s’en faire la remarque, il ne l’avait accueillie qu’avec un trop-plein de morosité. Son corps refusait de mourir. Son esprit s’était noyé dans les abysses cependant que son corps surnageait, guettant l’heure où il reprendrait du service, inaltérable armure qu’aucune privation n’était en mesure de faire ployer. Était-ce si stupéfiant ? Il avait été formé ainsi, après tout. Silhouette robuste et militaire, à l’épreuve du martyre. Joyau bleu dont l’albedo terni ne saurait amoindrir la valeur — la Vaillance.
Sa bénédiction.
Une malédiction.

Une autre chose néanmoins avait résisté à la léthargie qu’Hyll s’était imposée, pareille au mauvais œil penché sur son âme ; malgré ses efforts pour s’écarter de tout stimulus extérieur, pour n’agiter aucun de ses nerfs, il n’était jamais parvenu à éteindre les flashs induits par son don de prescience, et ceux-ci avaient continué de traverser son esprit tels des spectres confus, des fantoches sans substance qui lui rappelaient que le monde poursuivait sa course loin de lui, monde dangereux moucheté de violence et de dangers, monde de périls que durant presque quatre cents ans il s’était évertué à défendre et à protéger. Et tout ça pour quoi ? Pour terminer là, fœtus de métal au fond de sa caverne, ermite endeuillé impuissant à maîtriser le hurlement de son cœur, sans personne pour entendre ses sanglots muets ? Pathétique. Que l’on est misérable sous le joug des sentiments ! Mais Hyll se fichait de cela. Se foutait de tout, de lui le premier. Il n’avait que faire de son honneur ou de sa dignité — il n’avait plus rien — il n’était plus rien. Ne voulait plus rien être.
Ne voulait plus rien
rien
rien

Rien qu’un jour de juin ordinaire pour des milliards d’autres que lui.
Arraché à son obscure atonie dès la première seconde de l’aurore, il avait ouvert l’œil sur ces ténèbres devenues coutumières puis, à l’instar d’un mort que le clairon silencieux de la vie rappelle au combat, il s’était redressé afin de quitter son alcôve, dépourvu de la moindre expressivité, jusqu’à revenir à l’entrée des grottes. En dépit de la faible luminosité du moment qui épargna une brusque cécité à sa rétine, il lui sembla que la clarté matinale incendiait ses nerfs et, sur l’instant, il dut se faire violence pour ne pas s’en retourner dans la noirceur complète, plus tendre à sa vision. Dans la découpe de grisaille ouvrant sur la Forêt écorchée, un bosquet de velours blanc guettait cependant l’apparition du Passeur : Vertu. Elle que le pas des bottes sur le sol avait tiré de son propre repos s’était relevée et, sagement, avait attendu qu’il la rejoigne — ils n’échangèrent aucun son, à peine une caresse à l’accent de gratitude, tandis que la Vaillance transportait contre son torse un vêtement qu’il était allé chercher au préalable dans une petite niche de l’antre principale, celle qui autrefois avait servi de chambre pour les deux Bannis. Hyll n’eut pas à expliquer sa démarche. Grave et mutique, il s’enfonça sans guère d’hésitation dans les bois en direction de l’Est, son Picoti sur les talons, et il n’eut besoin de rien d’autre que son impulsion pour faire comprendre ses intentions à sa compagne d’une vie.
La Forêt aux mille teintes, depuis le printemps, avait abandonné ses efflorescences au profit de frondaisons plus verdoyantes, pistache ou sapin, émeraude ou jade, témoins du temps passé durant le sommeil de la Vaillance. Les oiseaux pépiaient de concert dans les branches. Les jeunes mammifères tout juste nés sortaient le museau de leur terrier, lapereaux et renardeaux aux paupières encore à demi closes de pénombre. Les feuillages ondoyaient doucement, frissonnant sous une brise abricotine qu’en un autre lieu, un autre temps, il aurait apprécié lors d’une promenade anodine en compagnie de sa monture. Ce n’était plus le cas — cela ne le serait plus jamais. Tout autour du Passeur, la vie s’éveillait, tout autour de lui la vitalité éclosait, et seul il demeurait inerte au dedans, indifférent à tout autre chose que son objectif. Éteint. Mort. Serrant dans ses bras la robe de Solstice, une de celles qu’il lui avait offert des décennies auparavant, sa favorite, la noire de satin qui se fermait aux épaules par deux accroches d’or en forme de soleil

celle qu’il avait si souvent vu chuter au sol dans un frémissement de désir, retirée d’un seul drapé au froufrou d’indécence, plissée telle une corolle charbonneuse autour des plus belles chevilles du monde tandis que, beaucoup plus haut, le sourire de son amant se fendait d’une lame d’émail acérée

la serrant avec toute la délicatesse dont il put faire montre, dans une étreinte à l’étrange timidité, jusqu’à parvenir, vers le milieu de la matinée, au vieux Lavoir.

Comme d’innombrables âmes à l’Entre-passe, Hyll avait entendu la légende du Lavoir aux vœux, sans pour autant avoir eu l’opportunité d’en vérifier la véracité. Lui qui n’avait par ailleurs guère souhaité quoi que ce soit plus ardemment qu’aujourd’hui, ne s’était jamais aventuré aussi loin dans les bois ; néanmoins son Esprit paraissait ce jour-ci avoir daigné accueillir ce frustre Passeur qui ne trouvait d’ordinaire que trop peu grâce à ses yeux, peut-être par dédain ou désintérêt. Il avait dû sentir, sans même chercher à le confirmer, que l’homme s’était déjà perdu — qu’il n’y avait aucun plaisir à égarer quelqu’un qui ne sait déjà plus qui il est. De toute manière, la Vaillance ne le remarqua même pas, obnubilée qu’elle était par l’étoffe sombre qu’elle embrassait ainsi que son bien le plus précieux. Qu’avait-il à risquer à tenter le mythe ? Au mieux, il y avait un fond de vérité dans cette histoire. Au pire... rien ne pouvait être pire que son existence actuelle. Quoique. L’on pouvait toujours lui retirer Vertu, le séparer du second membre de sa famille, sauf qu’il préférait ne pas songer à cette virtualité. Si cela venait à se produire, il ne lui resterait qu’à mourir pour de bon, sur-le-champ. Mais si Vertu savait qu’elle représentait cet ultime attache, ce dernier lien entre Hyll et la vie, elle le gardait pour elle, derrière l’écrin secret de son crâne.
Le Passeur s’approcha du Lavoir, provoquant une fuite apeurée de grenouilles et d’araignées d’eau. Du bout des phalanges, il écarta de jeunes pousses de nénuphar aux pétales fanés, puis plongea le vêtement dans l’onde claire. Il le noya jusqu’aux coudes, bien qu’il n’eût rien pris pour le laver véritablement — l’immersion, pensait-il, suffirait.
« Faites que Solstice revienne. Faites qu’il soit de nouveau là. »
Les fables se sont tant répétées à travers les âges que la formulation des souhaits souffre de multiples exemples aux conséquences malheureuses ; un mot de travers, une précision oubliée, et les entités responsables de leur accomplissement se font un loisir de mésinterpréter la demande. Or, Hyll ne savait comment dire les choses différemment, il n’aurait su anticiper davantage l’ambiguïté de ses phrases ; pour lui, son vœu ne pouvait être plus limpide que ces quelques mots. Que le Zénith se tienne à ses côtés. Il ne pouvait le faire résonner d’une autre façon, pareil à la froissure cristalline que son geste imprima à la surface.
Un moment, il resta ainsi penché au-dessus du point d’eau, à l’écoute d’une quelconque signe. Non loin, Vertu s’était elle aussi transformée en statue d’ivoire, à l’affût d’un indice. La Forêt bruissait. Les mésanges chantaient. Les fouines juvéniles apprenaient à chasser aux flancs de leurs parents. Le monde poursuivait son chemin, incapable de s’arrêter pour l’égoïsme désespéré d’un Banni, insensible à sa misère.
Hyll attendit.
Il attendit encore, au point que l’humidité vint friper la pulpe de ses doigts.

Mais Solstice ne reparut pas.

Qu’espérait-il ? Qu’une fable millénaire aurait la moindre chance d’exaucer son vœu le plus cher ? Fadaises. Il n’était plus un enfant depuis longtemps. Alors quoi ? Avait-il cru à un miracle, identique à celui qui les avait mis sur la route l’un de l’autre ? Désillusion. Ce n’était pas un miracle, mais une évidence. La destinée avait voulu qu’ils se rencontrent — le sort avait eu raison de leur union. Et dans ce bassin où se noyait cette robe de satin qu’il avait tant aimé voir s’iriser à chacun des mouvements de Solstice, joyau d’étole aux nuances nocturnes, Hyll eut soudain envie de couler à son tour — qu’on l’y maintienne enfoncé, tête première, et que malgré le caractère factice de sa respiration, il finisse inexorablement par décéder. Un dénouement concret, mille fois préférable à cette asphyxie éternelle, à l’air libre, dont il ne voyait pas la fin. Oh, il aurait presque remercié la personne à même de le suicider. Sauf qu’il était la Vaillance. Il est toujours la Vaillance.
Et la Vaillance jamais ne disparaît.

Avec lenteur, il se redressa pour se tourner vers son Picoti, lui adressant un regard que toute étincelle avait déserté. La lumière du jour lui faisait mal au-delà de l’imaginable ; la plus infime lueur lui brûlait la cervelle, pourtant il persistait, toujours debout, tandis qu’en lui s’esquissait la voie qu’il devait suivre pour en terminer — définitivement. Vertu lui rendit son attention, ses orbites vides cependant emplies de dévotion. Elle l’accompagnerait au bout du monde, ils en étaient tous deux convaincus. S’il était encore une vérité dans l’immensité de l’univers, elle se cristallisait ici. Ensemble, jusqu’à la fin. Une fin si proche.
« Ramène-moi là-bas ; emmène-moi le revoir. »
Hyll ne récupéra pas le vêtement. Quand Vertu s’assit près de lui afin de faciliter sa montée sur ses vertèbres, il abandonna la robe au fond du Lavoir, laissant son souhait sombrer avec le tissu. Si les amphibiens décidaient de s’y réfugier, il ne leur en tiendrait pas rigueur ; face à l’échec de la promesse, il n’avait plus rien à faire en ces lieux — plus personne pour porter une fois encore ce satin lumineux. Et d’ici à ce que tout s’achève, il lui fallait retourner là où tout avait commencé pour eux.

Là où tout finira.
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Ven 3 Juin - 22:03


Vertu se dirigea vers le Toit du ciel d’un pas morose, aussi lourd que l’était le monde sur les épaules de son cavalier. Ce dernier ne la commandait pas, se laissait guider seulement, les mains basses de part et d’autre de son garrot, tandis que le paysage autour d’eux bavait en teintes informes et grises telles de molles éclaboussures aux nuances insipides, impropres à capter son attention. Les Plaines elles-mêmes, qu’ils avaient jadis tant de fois parcourues d’une erre fière, ressemblaient désormais à une morne marée dont les parfums lui mettaient le myocarde au bord des lèvres, et s’il n’avait pas porté une paume à sa bouche pour retenir ses haut-le-cœur, il aurait sans doute craché à de nombreuses reprises un relent de bile plus acide qu’un substrat de détergent. Son vœu auprès du Lavoir pendait le long de ses cervicales courbées, sans force, sans conviction, mais s’il avait tout d’abord orienté le choix de leur destination, il avait bien vite fini rejeté à l’arrière des pensées du Passeur, dérisoire espoir auquel celui-ci ne voulait songer davantage — car à quoi bon croire ? Tout depuis ces trois mois de solitude convoquait un dénouement cruel auquel il se serait presque accoutumé, faute d’une quelconque éclaircie, d’un oracle magnanime apparu par miracle pour lui annoncer que l’épreuve serait bientôt achevée, qu’il avait assez souffert, que Solstice reviendrait.
Solstice ne reviendrait pas. Hyll le savait.
Il le savait et rien n’aurait plus écorché sa certitude que ce résidu de souhait dont il n’était parvenu à se débarrasser, pareille à cette griffure à la surface d’un marbre antique, invisible quoique rémanente, phosphène de douleur sur sa rétine emplie de ténèbres. Néanmoins, chaque pas de Vertu le rapprochait à présent de la fin, vers l’ultime révélation qui, il en était convaincu, anéantirait définitivement cette lueur crantée à sa nuque. Il se devait d’aller au bout, pour eux — pour Lui.

À leur allure sans allant, traverser les Plaines depuis la Forêt aux mille teintes leur prit le reste de la journée. Lorsqu’ils atteignirent le pied des montagnes, le soleil entamait son déclin et, au moment où la Vaillance abandonna sa monture avant les reliefs les plus abrupts du Toit du ciel, le crépuscule s’était déjà alangui en mouchetures d’or sur les roches alentour. En dépit de la pénombre montante, il n’eut aucune difficulté à se diriger ; sa poche ne lui était pas plus familière que ce sentier qu’il emprunta jusqu’au plateau tranché juste en-dessous de la crème de nuages auréolant les cimes, tellement coutumier qu’il aurait pu se repérer au simple nombre de ses foulées. L’Esprit se contenta de gronder à sa venue, cependant il ne daigna guère s’agiter pour repousser le visiteur dont il connaissait presque autant les râles que les paroles — peu importe les intentions nocturnes du Passeur, elles ne concernaient en aucun cas son jardin de cairns.
Hyll grimpa, aveugle au monde, tandis que s’estompait dans son dos le blanc lustral de Vertu, chandelle dérisoire dans la nuit. Quand il parvint à l’entrée de la caverne, le soleil avait chu depuis un moment à l’orée de l’univers, et il pénétra dans l’alcôve comme on rentre en ermitage : dépossédé de tout, désireux de rien. La solitude pour unique manteau, il embrassa furtivement les environs de son iris blême pour n’y trouver, ainsi qu’il s’y attendait, nulle trace de présence humaine. Et pourtant, combien ils avaient pu l’emplir d’eux-mêmes avant que l’exil ne les frappe ! Sans conteste n’y avait-il pas une poussière ici qui n’ait déjà été dérangée au long de leurs ébats, pas une paroi contre laquelle il n’ait soulevé le Zénith, anfractuosité bénie où ils avaient partagé leur premier baiser, leur première baise aussi, la millième, dix-millième, cent millième même, comme s’il était écrit qu’ils ne brilleraient jamais plus fort qu’au cœur des ténèbres, deux géants rouges fracassés l’un contre l’autre au fond du secret.

Assis à même la terre, au bord de la béance, Hyll attendit.
De là où il se tenait, il apercevait le firmament ourlé de minerai, la course flegmatique des astres propulsés à pleine vitesse si loin de lui, hors de portée pour toujours, sans qu’il n’en trouvât aucun qui ne scintillât plus ardemment que son amour. Hyll attendit. Attendit que ce nycthémère de juin s’achève enfin, que le solstice devienne hier, rejeté sans vergogne au passé, qu’il appartienne à son tour à ce qui n’est plus, à ce qui ne sera plus jamais, il attendit que la dernière seconde de la dernière heure s’envole en silence, dans l’indifférence de l’univers, que le jour s’échappe sans lui là où il ne pourrait oncques le retenir. Il n’essaya même pas de le retenir. Ses paumes ne gardèrent rien en elles que cette pruine déposée sous lui, qu’il effleurait par évagation, les doigts frôlant de leur extrémité les empreintes séculaires laissées par leurs rendez-vous clandestins dont tous, cependant, ne baignaient pas d’indécence. Il pouvait en effet se souvenir de la douceur de ces aurores tranquilles lovés en cet endroit, Solstice niché au creux de ses bras, à observer la Nuit ramasser ses étoiles telle un Petit Poucet astral, se souvenir de leurs anodines conservations, aussi futiles que précieuses, et précieuses parce que futiles, parce que si rares surtout, juste eux enlacés comme au premier instant de la Création, lorsque rien d’autre n’importait que la petite chamade apaisée de leur myocarde se répondant à travers leur torse. S’il le lui était permis, ah, il donnerait son âme pour revivre au moins le plus bref de ces instants.
Hyll attendit. Personne ne vint ramasser les étoiles — elles s’estompèrent d’elles-mêmes, éblouies par la lumière renaissante de l’aube. Hyll attendit. La pâleur de l’horizon le fit bientôt se relever, elle seule capable de tirer un nouveau mouvement à son ossature pentélique. Alors il se tint là, droit face à ce jour neuf, s’interdisant de ciller pour ne perdre aucun éclat de cette dernière vision. Son ultime lever de soleil. Il savait, au nadir de son esprit, qu’il n’en verrait nul autre, ni par désir ni par fatalité. C’était assez. Il en avait assez. Rien ne le ferait exister plus longtemps que ce crépuscule — et quand la brillance opaline du ciel vint se réverbérer sur son œil, l’espace tout à coup se noya sous son regard. Il ne put en supporter davantage ; sa paupière se mit à cligner vive, brûlante, sous un flot obscène qui engloutit sa sclère par saccade, honteuse et dévastée. Il eut beau y porter la main pour en contenir l’excès, l’onde passa outre, débordante, impétueuse, accablant sa nuque qui se courba sans qu’il put s’y opposer. Puis, quand les hoplites victorieux eurent suffisamment plié cette échine jadis indomptable sous leurs lances de sel, quand ils se posèrent en maîtres sur cet esprit vaincu, ils firent place à leur monarque afin de planter leur blason. Et c’est ainsi que Hyll, qui pas une fois en quatre cents ans n’avait appris le chagrin, qui ne connaissait même pas le goût de ses propres larmes, à la seconde où le pieu s’enfonça au sommet de son crâne, rendit enfin les armes au son d’un sanglot.

Il pleura.
Mais Solstice ne reparut pas.

Il pleura.
Ce fut tout.




Plus tard, lorsqu’ils rentrèrent aux Grottes étoilées dans la clarté affranchie du matin, Hyll et Vertu sentirent que ce retour n’avait pas la même saveur que toutes les fois précédentes. Ils ne revenaient pas chez eux — chez eux n’existait plus. Ils se rapprochaient certes de l’endroit qui les avait hébergés pendant presque une décennie maintenant, qu’ils avaient aménagé autant que faire ce peut pour lui donner l’apparence d’un logis ou, tout du moins, d’un refuge, sauf qu’ils n’étaient plus en mesure de le considérer ainsi, sans dénicher d’explication concrète à ce fait, par ailleurs. Ils ne rentraient pas ; ils s’en allaient vers un lieu inconnu qui ne portait plus le titre de foyer. Arrivé là-bas, la Vaillance n’eut pas un regard pour les quelques objets personnels qui étaient demeurés sur place. Ses armes, ses rares vêtements, les accessoires dont le Zénith aimait à se parer, des bricoles et autres instruments de pêche, d’équitation, d’entraves ou de couture. Tant pis. Tant pis pour la cave, bien plus profonde, où celui-ci avait sculpté son autel. Tant pis aussi pour celle, maudite, où ils avaient mis au supplice des dizaines de Cauchemars et autant d’Âmes au nom de leurs factieuses croyances. Hyll n’y retournerait pas.
Il partait.

« C’est le moment de nous dire adieu, ma belle. »
Sa main posée sur le large chanfrein de son Picoti, le Passeur força un rictus sans joie. Comprendrait-elle ? Oh, bien sûr qu’elle comprenait, elle n’était pas stupide — et elle comprenait d’autant mieux qu’elle s’y opposa de toute sa hauteur, son squelette campé en barrière entre son cavalier et l’extérieur de la caverne vers lequel il se dirigeait. S’il s’y attendait, Hyll ne s’en émut guère. Il refusa de s’en émouvoir, surtout. Ce n’en serait que plus douloureux.
« S’il te plaît, ne rends pas les choses plus difficiles. Tu retrouveras ton indépendance entière ; tu n’auras plus à me supporter. Et je ne risquerai plus de te faire du mal. »
Il écarta sa paume, constatant aussitôt que Vertu avait saisi son poignet d’un coup de bec, presque assez brutale pour le lui trancher. Son expression en réaction se fronça d’un cran.
« Vertu... »
Mais il eut beau tenter de dégager sa main, la Picoti renâclait, s’agitait, tenace, telle une chienne refusant de lâcher son os à moelle. Cette opiniâtreté toucha le Passeur, cependant elle ne parvint pas à fêler le blindage dont il s’était emmuré le cœur en cet instant ; tout au plus raviva-t-elle un agacement qui lui fit serrer les mâchoires.
« Vertu, lâche maintenant. C’est fini. »
Elle n’obéit pas, la cavité désespérée de ses orbites fixée sur lui. Les bords de son bec cisaillaient la protection dont il s’était entouré l’articulation, et il devinait qu’elle finirait par lui entailler la peau s’il ne l’obligeait pas à reculer.
« Tu le prends ainsi ? Très bien. »
C’est lui qui recula alors — mouvement qu’elle lui accorda — pour retourner s’emparer de sa lance qu’il avait eu l’intention de laisser ; là où il se rendait, elle ne lui aurait été d’aucune utilité, mais puisque Vertu s’obstinait à lui compliquer la tâche... L’Oiselle hésita. Son corps se braqua lorsque le Passeur revint vers elle, instinct tout animal face à quelque menace, même familière. Toutefois, une part d’elle reconnaissait son maître, aussi effroyable fusse-t-il à cet instant, de sorte qu’elle ne résista pas à la pression qu’il mit pour la mettre à genoux ; d’une main sur ses vertèbres, il la fit ployer sans douceur, la coucha presque au sol, ses longues pattes glissant affolées dans la poussière, puis, une fois qu’il fut assuré de son immobilité, d’un coup oblique il enfonça l’arme à travers certains creux de son squelette jusqu’à ficher la pointe dans la terre. Vertu s’agita. Avant de lâcher la lance, Hyll appliqua son don d’invincibilité dessus, de façon à empêcher le Picoti d’en briser le manche en se débattant. Ainsi piégée, elle était incapable de se redresser ou de rouler pour s’extraire du pic, pareille à un casse-tête de calcaire. Elle remua encore, la croupe entravée. Hyll lui prit le crâne à deux mains, et de nouveau son pouce vint caresser les racines fissurées qu’il avait créées sous son œil, il y a de cela une éternité déjà. Hier peut-être.
« Tu peux m’en vouloir, tu sais. Déteste-moi de t’abandonner ainsi, si c’est plus simple pour toi. Il n’y a pas de mots pour dire à quel point je suis désolé. Je vais prévenir quelqu’un, elle viendra te libérer, peut-être s’occupera-t-elle de toi comme je ne peux plus le faire. Mais moi, je ne serai déjà plus là. Déteste-moi, si tu n’arrives pas à m’oublier. »
Ses phalanges se resserrèrent sur cette ivoire fébrile, tremblante de détresse. En n’importe quelle autre circonstance cette solution l’aurait mis hors de lui et il se serait haï de lui imposer si pénible traitement, or il ne pouvait se haïr davantage. Il avait atteint sa propre limite. Avec toute la délicatesse dont il put faire montre, il posa alors son front sur celui de son Picoti et, pour un moment, celle-ci sembla s’apaiser. Puis ses bras remplacèrent ses mains afin qu’il les referme autour de ce crâne gigantesque, et il la serra. Il la serra aussi fort qu’il en fut capable sans la briser. Il l’embrassa comme son dernier trésor, comme son premier aussi, bien avant de rencontrer Solstice, l’embrassa comme un condamné embrasse l’air et le soleil avant le grand départ, en la remerciant pour tout ce qu’elle lui avait offert, tout ce qu’elle lui avait apporté. Il la remercia pour sa compagnie, sa grandeur, sa dévotion, sa loyauté — la remercia pour sa chaleur, sa tolérance, sa bravoure. Il la remercia pour tout et pour plus que tout, sans jamais s’arrêter de la tenir contre son cœur.
« Tu es et tu resteras le meilleur Picoti que porte ce putain de monde. Ne laisse personne dire le contraire. Ceux qui ne le croient pas peuvent bien crever. »
Sa Vertu. À lui.
« Adieu, ma fille. Je te souhaite le meilleur. »
Ainsi se détourna-t-il d’elle. Sans se presser ni ralentir, il s’en fut à pied vers les Marais, abandonnant dans son dos la créature qui rua en vain autour de son entrave, qui griffa le sol dans la folle espérance de retenir son maître. Mais il ne se retourna pas. Poings crispés, il ne se retourna même pas nonobstant l’envie qui lui déchirait les nerfs, lorsqu’elle poussa un cri — elle qui avait perdu sa voix en même temps que sa première vie et qui depuis ne pouvait guère plus émettre le moindre son —, elle cria et lui se mordit la lèvre pour ne pas s’arrêter, pour ne pas rebrousser chemin et l’attirer une fois encore contre son torse. Il goûta le sang aussi longtemps qu’il l’entendit pleurer derrière lui, aussi longtemps qu’il crut entendre son hurlement perforer la quiétude des marécages. Sa Vertu. Tout ce qu’il subsistait de son existence. Son joyau poli. La prunelle de son œil. Elle finit par se taire quelques instants plus tard, consciente qu’il ne lui restait désormais que la patience.
La patience et les souvenirs.

Mais lui entendait toujours l’écho de ces lamentations quand il atteignit, vide de tout sentiment, les portes de Ciranne.
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