Je sais ce que vous allez me dire. Je suis stupide. Je vous comprends, d’un point de vue externe, j’avoue que ça peut y ressembler. Ça peut porter à confusion. Pour ma défense, je suis vraiment borné. Puis, c’est bien de vouloir atteindre des sommets, nan ? Je veux aller toujours plus loin, toujours plus haut !
Nan mais arrêtez de me regarder comme ça, ça commence réellement à être gênant. Déjà, j’ai fait l’effort de venir dans cet endroit avec tout plein de gens pour soigner mes blessures, c’est pas mal nan ? Vous ne trouvez pas que c’est suffisant, nan, en plus de ça, vous voulez que j’arrête de faire de l’origami ? Vous voulez que je crève d’ennui ? J’ai beau ne rien piger à la notion de « Temps », je vous assure qu’il passe trèèès lentement ici !
Après, c’est vrai, j’ai déjà bien dépassé mes limites, et j’ai les mains légèrement en sang. Mais franchement, quitte à foncer dans le mur, autant y aller à fond nan ? Puis, je suis là pour me faire soigner, donc une de plus ou une de moins, ce n’est pas ça qui va me tuer ! Je suis désolé, vous ne comprenez probablement rien, mais je sens vos regards accusateurs pesés sur moi, et j’ai besoin d’y répondre sur l’instant.
J’ai donné vie à plus de créatures qu’à l’accoutumé. Et croyez-moi, pour que moi, Emile, je finisse par me rendre compte qu’il faut peut-être que j’aille voir une personne, genre une vraie personne qui respire, qui pense et tout, c’est que je n’ai réellement pas fait semblant. Mais je continue ! On ne vous a jamais dit que c’est lorsque vous êtes fatigués que vous allez progresser le plus ? Beh c’est pareil ! Nan, vraiment, arrêtez de me regarder comme ça, ça commence à devenir gênant…
Puis, j’ai inventé une chouette petite histoire que j’ai révisée en venant. Un truc dans le genre : j’étais en train d’arpenter une des zones les plus sombres et maléfiques de l’Entre-Passe, à vous donner des sueurs froides dans le dos. Je marchais avec fierté, un p’tit gars téméraire, j’avais déjà affronté dragons, serpents, araignées, et sirènes. Soudainement, un immense démon sorti de l’obscurité, je me suis trouvé impuissant face à lui. Heureusement, puissant que je suis, seules mes mains ont été légèrement amochées par le puissant titan.
Je suis appelé. Je suis la personne. Me voilà face à une autre. Allez Emile, tu sais ce que tu as à dire. Tu sais que tu peux le faire. « Bonjour. J’me suis coupé avec une feuille. »
Ouais. Bon. Je ne sais toujours pas mentir. L’histoire de chevalier Emile sera pour plus tard hein.
Fallait croire qu'avec l'arrivée des beaux jours, les glands débarquaient aussi. Nan, vraiment, autant ceux des arbres que ceux qui se pointaient en masse à la clinique pour des soins ! Est-ce le soleil qui rend tout ce petit monde aussi peu prudent ? Ou est-ce le manque de vitamine C de l'hiver dernier qui leur a fait perdre autant de neurones que toi ? Car que ce soit ta personne qui soit cabossée, c'normal, t'es pas connu pour ton attention. Mais les autres, là. Ça t'en bouchait un coin. Blanche comme toi, n'aviez pas vu le temps passer. Le Temps, le Temps... S'il était là, tu lui ferais une clé de bras pour lui d'mander de t'en filer plus car t'allais encore louper les derniers épisodes sur Netflix si ça s'calmait pas.
Néanmoins, tu perdais pas ton sourire ni ta bonne humeur habituelle, emmerdant joyeusement tes patients comme tes collègues. Aujourd'hui, t'avais été recalé comme infirmier spécial petites plaies. A croire que tous les gosses se cassaient la gueule en même temps ! Ils avaient organisé une course avec les pieds bandés ou quoi ? 'Tain Cicérone te cache des trucs si elle a fait ça ! T'aurais au moins voulu y participer ! T'es imbattable quand faut faire la larve au sol ! Des millénaires d'expérience, ah ! P't'être pour ça qu'elle te l'avait pas dit. Déjà que tu t'es fait bolossé par des mouettes y'a pas si longtemps avec Pag', t'allais peut-être éviter de te faire remarqu- PUIS QUOI ENCORE ? ELLE EST OU C'TE COURSE ? Tu s'rais dég' si elle était déjà passée. Tu finissais de la prise de sang de Tante Berte avant de soupirer longuement.
T'avais pas envie d'bosser aujourd'hui. La bonne humeur, c'était okay mais venir juste faire la machine à coller des pansements sur les gens ou à vérifier la tension de Tonton Hubert... CHIIIIIIIIIIIIIIIIANT. C'CHIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIANT. Tu t'emmerdes et quand tu croyais que c'tait enfin fini, t'entendait une de tes collègues gueuler le nom d'Emile. Emile ? Oh non, non, non pas c'vioc de poulpe ! Pitié, pas lui ! C'est un enfer les piqûres avec sa peau et puis il parle que avec des mots compliqués, tu piges jamais riiiiien. Tes collègues voulaient t'achever, c'pas possible. Ils vengeaient pour tes bains un peu trop invasifs sur leurs faces ? Pourquoiii ? T'as pas enviiiiie. Tu traînassais des pieds comme un enfant qui d'vait se traîner au bain et qui avait TOUT sauf envie. Et quand tu parlais d'gosse, tu tombais sur un ange.
Littéralement. T'aurais pu t'casser la gueule sur lui tant t'avais pas capté qu'il était là. Tout ce que tu captais était l'odeur du sang et très vite ton regard fut plus attiré par la multitude de coupures que ses mains avaient que son explication. Il était vénère son morceau d'papier ou bien ?
« La vache, elle t'a pas loupé ta feuille pour t'faire autant de marques ! Elle était vivante ou quoi ? »
Tu riais, montrant d'un geste du bras le divan d'examen pour que la petite tête rousse s'y installe si elle le voulait.
« Tu veux quoi ? Une tonne de pansement ou que je te soigne ça en deux sec trop chrono ? »
Tu préférais demander car entre les allergiques aux pansements et ceux qui veulent pas qu'on les touche, t'en avais assez que Blanche te décolle le crâne à chaque fois que tu d'mandais rien.
Mon don se lit il sur mon visage ? Comment a-t-il deviné aussi rapidement ? Je fronce les sourcils. Est-ce qu’il y a une petite fiche d’information qui se trimballe à côté de moi ? Je devrais demander un jour, les gens me cernent bien trop facilement, ça en devient flippant. Puis, encore des traits de caractère, une personne peut facilement les deviner en me regardant me mouvoir. Mais mon don ! Je fronce les sourcils, pensif, tandis que je me dirige sur le divan.
Il rit. Pourquoi rit il ? Je ne comprends rien. Les relations sociales ne sont vraiment pas mon fort. J’essaye de comprendre pourtant, j’essaye du mieux que je le peux. Vraisemblablement, ce docteur est plus fort que moi là-dessus. Nan, je suis désolé, ça me tourmente. Comment a-t-il deviné que la feuille est vivante ? Il m’a vu dans le couloir sinon ? Impossible, même lorsque j’étais face à lui, il a réussi à me louper. Il n’aurait pas pu capter ma présence d’aussi loin ! Je pousse un long soupir.
Il me pose une question. Ok, donc à partir de maintenant, c’est le scénario que je n’ai pas pu réviser. Il va falloir que j’improvise. Il faut que je fasse des phrases qui ont un sens. Oh bordel, je dois faire un choix en plus ! Il m’en demande beaucoup. Enfin non, en réalité, il n’y a que deux choix. Mais c’est une possibilité de trop. D’autant plus que la seconde possibilité est bien trop… vague. Trop de questions dans ma tête. Pourquoi suis-je venu ici déjà ? Ah oui. « Je me suis coupé avec une feuille. »
Je secoue la tête. Non Emile, ça, c’était la réponse à la question que tu te posais à toi, pas à son interrogation à lui ! Un nouveau soupir. Je suis vraiment un boulet. Mais je vous promet que je ne fais pas exprès : « Enfin non, avec plusieurs feuilles en réalité. Et oui, elles étaient vivantes. Comment avez-vous deviné ? Et je préfèrerais que ça dure que « deux sec top chrono... »
Mon pied tape nerveusement sur le sol. Pourquoi faut il que ce soit toujours aussi compliqué ? Pourquoi je réfléchis toujours autant à tout ? Je vous assure que c’est épuisant ! Je conserve sur l’homme un regard entre éteint et perdu. Comme toujours. Il y a deux possibilités avec moi : soit j’ai l’air excessivement perdu, soit je suis excessivement blasé. Il se trouve qu’en ce moment-même, c’est un parfait mélange des deux.
Puis merde, encore une fois, il a fait comment pour deviner ? Puis pourquoi il regarde ? Tout ça devient réellement angoissant… Comme absolument tout ce qui m’arrive en ce moment remarque… Et il ne le sera jamais plus que ce maudit libraire.
Il avait fumé quoi l'gosse ? Parce que tu savais pas s'il était ou complètement défoncé ou complètement ailleurs ; genre tellement loin qu'il participait probablement à un congrès intergalactique. Est-ce que les aliens lui racontaient des trucs stylés ? T'veux savoir, c'passionnant les aliens ! Plus que de préparer milles et une choses pour des soins lambda, tu dirigeais ton attention comme tu l'pouvais vers la tête rousse. Il avait plein de manies, plein de p'tits gestes qui te disaient qu'il était stressé en plus d'être en super-réunion de l'espace là. T'avais dit une connerie ? Tu haussais les sourcils pensif, lorgnant le plafond. Qu'est-ce que t'avais pu dire d'travers ? T'avais juste répondu à sa phrase. OU ALORS C'TAIT QU'IL AVAIT APPRIS UN TRUC GRAVE PENDANT SA REU' ? Merde, t'sais pas comment on rassure des gens sur des trucs d'l'espace, toi !
Tu souriais à sa seconde affirmation, t'affalant contre le mur adjacent à la table. Tant pis si tu devais prendre des heures pour capter c'gamin, c'pas comme si la clinique manquait de salles de consultation. Ton sourire amical se suffisait à lui-même, réponse silencieuse que pour une fois dans ta longue vie, t'avais bité quelque chose. C'était si rare que t'aurais presque envie d'aller fêter ça avec quelques bouteilles ce soir ! Seulement quand il te répondait sur ta remarque quant aux feuilles vivantes, tu t'attendais pas à ce qu'elles le soient réellement. T'arrondissais les yeux, en plus surpris qu'il pense que genre TOI, ouais, ouais TOI, ai deviné ça. Tu t'esclaffais de rire, haussant les épaules.
« Je me suis découvert devin c'matin ! Je sais touuut, absolument touuuut ! »
Voilà que tu venais le charrier, te penchant vers lui avec une bouille enfantine.
« Nan, en vrai j'en avais aucune foutue idée, c'est juste que autant d'coupures avec une feuille, c'est fort. Du coup, tu donnes vie au papier ? T'as pas moyen d'le mater un peu, qu'il arrête de te blesser ? »
Ta voix se faisait posée, glissant doucement un doigt le long d'une des plaies de l'ange, le sang s'évaporant doucement alors de celle-ci ; laissant derrière lui une peau refermée. Lisse, où une cicatrice infime y trônait, comme si cette vilaine plaie appartenait au passé.
« Et hop, deux sec top-chrono ! C'mon super pouvoir. Toi tu donnes vie au papier, moi j'soigne les gens qui se font tabasser par leurs dons comme toi ! »
Pourtant les cicatrices, c'tait ton dada. T'en avais plein sur la gueule, plein sur les poignets, plein partout dans les faits. Mais tu les aimais bien, ça faisait parti de toi, ça contait une histoire. Un truc. Faudra que tu lui demandes si les aliens ils peuvent débarquer à l'Entre-passe, aussi.
Mais c’est quoi ce type ? Enfin, je m’en suis douté qu’il est devin, mais je n’aurais jamais pensé qu’il allait le dire aussi aisément, sans hésiter un moindre instant ! J’ouvre de grands yeux étonnés dans lesquels il peut admirer mille et une étoile. Un enfant à qui on tend une peluche, voilà à quoi je ressemble actuellement. Mais, c’est fascinant ! J’aimerais trop pouvoir faire ça ! Quoi que… Est-ce qu’un devin peut lire dans les pensées ? Est-ce qu’il sait réellement tout ? Déjà que je déteste lorsqu’on me parle, si en plus je commence à tout entendre sans le vouloir… Mais attends attends attends…. IL SAIT CE QUE JE PENSE LA ?! Mes joues virent légèrement aux rouges. C’est super gênant enfaite ! Et vraiment intriguant… Il a dû en entendre des choses, des choses que je ne veux probablement pas savoir d’ailleurs ! Ça doit être traumatisant… Une légère pointe de compassion vient tenir la main à la fascination que je ressens pour lui. Pauvre petit médecin…
Il se penche au-dessus de moi. Briseur de rêve. Bon, au moins il n’a rien entendu de toutes mes conneries. Mais c’est encore plus gênant. J’espère qu’il n’a rien capté aux milles et une émotions qui ont traversé mon si petit corps. Pour une fois, mon manque d’expression va m’être utile. Allez, tous ensemble : « Merci Emile de ne pas savoir montrer tes émotions, d’être un véritable handicapé sentimental !!! » Si je ne crevais pas de honte, j’aurais probablement esquissé un petit sourire. Vraiment tout petit. Microscopique. Je suis si crédule… On peut me faire gober n’importe quoi, j’en ai conscience, et je continue de courir, que dis-je, de voler dès que l’on se fout de ma gueule. C’est épuisant, et très amusant lorsque cette capacité étonnante tombe entre de mauvaises mains… Ta crédulité est ton réel don, elle est titanesque, sans limite, elle en devient magique. « Le mater ? Je n’ai pas compris, pourquoi est-ce que je le materai ? »
C’est bien réel ce que je viens de voir ? Les étoiles regagnent les deux amandes orangées tandis que ma bouche forme un petit o. Aaah, je suis capable de mouvoir mon visage quand je le veux, vous voyez ! Je suis fasciné par chaque découverte de don, c’est ce qu’il y a de plus beau dans ce monde : tout est encore à découvrir, et tout est magique ! Puis, vu que je ne parle à personne, je vais avoir besoin d’énormément de temps encore pour cerner tous les habitants de cet endroit si cher à mon cœur ! « Je ne me suis pas fais tabasser par mon don. J’ai juste dépassé les limites. Ça doit être super violent si certaines personnes se font tabasser par leur don, je n’aimerais réellement pas. »
Une petite voix résonne dans ta tête. « Idiot. T’es vraiment inutile. » Je me tape le front, dans l’espoir de la chasser. En vain. Quoi, qu’est ce que j’ai mal compris encore ? Je suis fatigué d’être moiiiiiii. « Tu ne comprends jamais rien. » Et cette fois, c’est à voix haute que je réponds à ces hallucinations auditives : « Mais taisez-vous, je n’y peux rien moi ! »
Je dirige immédiatement mon attention vers le docteur, confus. Non pas que je compte le revoir, mais je vais encore une fois être catégoriser dans la section « mec chelou, à faire chier le plus possible parce que c’est drôle. » J’sais pas pourquoi, j’le sens venir aussi fort que quand Pagaille m’aperçoit au loin : sans aucune délicatesse, avec beaucoup de force, et aucune discrétion.
Tu l'aimais bien c'gosse. Il était vachement drôle. Si spontané et crédule. Tu pourrais lui faire gober n'importe quoi t'as l'impression. Mais il avait c'truc touchant que tu n'saurais pas expliquer. Une sorte de maladresse qui l'en rendait presque adorable. Il t'faisait marrer à rougir quand tu lui révélais le pot aux roses et que nan t'étais pas un super devin. T'aurais adoré, t'aurais été au courant de tout ce qui s'passe autour de toi, t'aurais même pu... t'sais pas, prédire ce qu'il s'était passé dans le passé et bordel ça fait beaucoup d'fois que tu dis passé et que tu sors un non sens grave logique pour toi tel que prédire l'passé. Bah ouais, toi t'es ce type de devin. Le futur, tu l'sais, c'est mainstream, toi tu prédis ce que t'as vécu avant même que tu te rappelles l'avoir vécu - donc quelque part est-ce que c'est encore du passé ? trop compliqué pour cerveau ichor là - ! Rien qu'ça ! Attend, il l'avait compris comment le « mater », l'gosse ? Il s'imaginait au sens premier tu termes ? Genre il va reluquer son don - t'sais pas comment mais bon - et pof le don gêné comme une sainte-nitouche va se maîtriser tout seul ? Ou alors t'avais mal parlé et il avait rien bité ?
« Attatatata... Comment t'as compris mater ? Parce que j'parle pas de reluquer ton don dans l'espoir que celui-ci se calme miraculeusement hein ! Tu s'rais pas un p'tit coquin derrière cette gueule d'ange ? »
Tu riais à ton humour de daron coincé aux années vingt, tendant l'oreille à ses autres suppliques. Ainsi que... Bordel, il était si expressif ! On dirait un smiley sur les portables que Ruru vous file ! Tu conservais ton sourire jovial, quelque peu intrigué par ces soudaines réactions. Il s'faisait pas trop mal à s'frapper le crâne comme ça ? Toi tu sentais rien mais Titi te disait tout le temps que ça rendait con de se frapper la tête !
« Tu devrais faire attention, ça va t'rendre con si tu continues de te tabasser à la place de ton don... »
Tu papillonnais du regard, retenant d'exploser d'rire. Oh bordel, il prenait tout au pied de la lettre ? Bien sûr que non, les gens ne font pas réellement passer à tabac par leurs dons - quoique mais tu vas pas lui dire - ! Tu hochais la tête, les bras croisés, acquiesçant de façon silencieuse que sisi, on peut s'faire maraver par ses pouvoirs.
« Boaaah, tu t'y fais ! C'est juste un p'tit entraînement du matin ! Tu te lèves, tu colles une droite à ton don et pof ! Mais ouaiiis, j'en ai vu des violents ici, j'te dis pas ! »
Comment ça, t'avais envie d'le faire marcher encore un peu ? Il était si innocent - vraiment une tronche d'ange - que c'tait plus fort que toi.
« C't'à dire dépasser tes limites ? Puis dis, d'puis t'à'l'heure tu parles tout seul, tu causes aux aliens ? Ils sont pas contents que tu sois tout cassé, c'ça ? »
Ouais, genre il croyait que t'avais rien capté. Mais si, toi tu voyais tout ! Encore plus quand la tête rousse était pas discrète, cachant à peine ses conversations avec ses ami.es de l'espace de tes oreilles. Alors oui, forcément que t'allais lui d'mander ! T'as toujours rêvé de parler à des extraterrestres !
Moi, un p’tit coquin ? Je ne crois pas… Je me trouve plutôt posé comme garçon. Puis, je réfléchis beaucoup avant de parler. Je sais toujours ce que je dis, j’ai juste quelques petits soucis presque minimes pour comprendre les autres. Trois fois rien. Ça ne me pourrit pas la vie, pour y remédier, je ne parle simplement pas aux autres. Mais faut bien s’y coller parfois ! Mais je ne comprends pas non plus le sens du « coquin » … Alors, je vais improviser, en espérant ne pas trop répondre à côté de la plaque. « Peut-être bien, je ne sais pas… »
C’est vrai quoi, c’est compliqué de faire semblant de comprendre ce que l’autre dit ! Il éclate de rire. Il semble fier de lui. Ou alors, il se fout de ma gueule, je ne sais pas trop. Peut-être un mélange très étrange des deux ? Je replace les quelques mèches rebelles correctement en me frottant vigoureusement le crâne. Oui, plus c’est le bordel, plus ça veut dire que mes cheveux sont rangés ! Je relève mes deux iris orangées vers le médecin, et relance un coup d’œil à mes blessures si vites disparues. C’est fascinant. C’est fascinant de se rendre compte à quel point certains dons sont utiles et là pour faire le bien. Je trouve ça franchement… agréable. Ce côté si doux et apaisant. J’aime les paradoxes qui hantent ce monde. Au bout de la ruelle, je peux aussi bien tomber sur une personne qui s’amusera de moi, qui cherchera à me faire du mal, qu’une véritable petite étoile. Et même si tout cela me stresse au plus haut point, je ne peux m’empêcher de trouver ça un peu excitant au fond. Et fascinant. Je sais, je l’ai déjà dit, mais c’est réellement le mot le plus approprié.
J’ouvre encore une fois de grands yeux. Alors celle-là, je ne savais pas du tout ! Pendant, ça fait quoi, bien 3 piges que je suis ? Et j’ai réussi à passer à travers les mailles de cette information ? Mais si ça se trouve, c’est pour ça que je n’arrive pas à repousser mes limites, il faut que je sache comment on tabasse son don ! Puis, des violents comment ? Je veux tout savoir ! J’ai peut-être enfin la clef en main pour m’améliorer ! Je savais qu’il fallait que je vienne ici ! J’ai eu une super bonne idée ! « Mais c’est trop bien ! On fait comment pour décoller une droite à son don ? Moi aussi je veux le faire ! »
Oh. Un petit peu trop d’enthousiasme dans ma voix, je n’ai pas spécialement contrôlé… Ce n’est pas grave, il comprendra, c’est vraiment fou ce que je viens d’apprendre ! Vous auriez réagi comment à ma place ? Arrêtez de me juger !
Cette fois-ci, c’est l’incompréhension qui assombrit mes traits, efface le petit sourire qui s’était créé. J’ai l’impression qu’il répond de manière aléatoire, comme s’il ouvrait un dictionnaire mental, et qu’il posait son doigt un peu n’importe où pour former une phrase. Antibiotiques melon ancien président divorce ? Cimetière canneberge motel Cendrillon ! Un truc dans le genre, mais il calle quelques déterminants et verbes conjugués pour faire genre que tout est calculé : « Des aliens ? Je parle tout seul pour me remettre les idées en place, il n’est pas du tout question d’alien… Quand j’utilise Paper Fox, arrivé à certain quota de créations, je me blesse physiquement. Puis je force, plus ce sera douloureux, profond. Et cette fois-ci, j’ai exagéré. Heureusement que des personnes comme vous existent pour me donner les solutions pour m’améliorer ! »
Je n’ose pas lui dire que les aliens n’existent probablement pas. Ou que, s’ils existent, ce n’est probablement pas à moi qu’ils s’adresseront… Je ne veux pas briser ses rêves !
Vraiment, il t'lassait pas le gamin. T'avais jamais vu quelque courir après tes conneries comme lui ! Sauf que lui, il l'faisait même pas exprès. C'était simplement de la naïveté et une sorte d'innocence que tu lui trouvais vraiment agréable. Était-ce pour ça qu'il avait une gueule d'ange ? Était-il si gentil et innocent d'son vivant ? Les âmes, elles étaient incroyables. Parfois elles restaient humaines puis parfois comme lui, elles débarquaient avec une autre tronche comme si leur esprit tentait de leur dire un truc qui leur échappait. Plus ça allait, plus t'avais envie de le connaître. D'le comprendre, parce que des âmes comme ça, t'as juste envie d'les aider. Faire que leurs jours avant leur départ ici, soient les plus cools qu'elles aient jamais eus ! D'accord, t'étais un vilaiiiiin cauchemar, t'es censé faire peur et traumatiser les gens. Pas chourer l'rôle des passeurs et faire le taff mieux qu'eux. Mais qu'est-ce que t'y peux ? T'es comme ça, t'es gentil et profondément stupide. On a dû s'foirer à ta création t'sais pas. Et t'as pas envie d'changer, tu t'aimes ainsi. Et t'adores ta vie ici !
« Comment ça, p't'être bien ? Tes proches te l'ont jamais dit de ton vivant ? »
Tu le lorgnais surpris, décollant ton cul des paillasses pour venir te poster vers la porte. T'avais un peu trop traîné avec lui et tout ce que tu pouvais faire, était de libérer l'endroit et de te barrer avec l'angelot ailleurs - quoi t'étais censé rester ? zuuuut, t'savais pas -. Tu ne pu t'empêcher de sourire sincèrement à son enthousiasme contagieux, ravi d'avoir réussi à lui arracher un p'tit élan d'énergie. Même si c'tait imagé comme exemple, il semblait lui parler ! T'allais devoir trouver un moyen de lui expliquer tout ça, sans toi-même te perdre et ça c'tait pas gagné !
« J'peux essayer de t'expliquer ! Mais faudrait qu'on bouge, on bloque l'endroit pour les autres. D'ailleurs c'quoi ton prénom ? Moi, c'est Ichor ! »
Tu riais de plus belle, montrant la porte à la tête rousse, lui laissant le temps nécessaire pour se lever tranquillement. Certes t'étais pressé mais il était hors de questions que tu l'secoues pour qu'il te suive. T'voulais pas faire comme les humains. T'avais tellement entendu d'horreurs sur les conditions d'leurs cliniques et hôpitaux, sur leur façon d'traiter leurs patients que tu refusais de ressembler à ça. T'étais un peu triste quand il te révélait qu'il parlait juste seul pour trier ses pensées. On dirait ta soeur, elle fait ça aussi ! T'aurais vraiment adoré qu'il puisse parler aux aliens, ça s'rait si dingue ! Mais bon, tant pis ! Paper... Fox... T'crois bien que c'est d'l'anglais ? Une des tu ne sais pas combien de langues que parlent les Hommes. Mais t'en avais assez entendu avec ton grand-frère pour en comprendre le sens. Des renards de papier, t'crois ?
« OHHHH JE VOIS ! T'as un don comme c'lui de ma soeur ! Elle, elle peut faire plein de trucs en origami et leur donner vie ! T'fais pareil toi aussi ? T'as déjà essayé d'en faire moins mais des plus gros ? Car d'jà faudrait voir ce que tu peux et ne peux pas faire, t'crois pas ? »
Tu v'nais lui tapoter l'épaule de la façon la plus douce que tu pouvais - donc lui déboîtant celle-ci -, un sourire fier aux lèvres.
« T'veux un truc à boire ou à bouffer ? Ils ont des boissons à l'accueil si jamais tu veux me parler de ton don un peu plus ! »
Mes proches ? De mon vivant ? Premièrement, je ne me souviens pas d’eux. Et même si c’était le cas, pourquoi m’auraient-ils dit que je suis un « coquin » ? Puis, ça ne veut rien dire en vrai ? Et voilà que mon cerveau rame dans la semoule pour essayer à nouveau de décrypter les messages plus que codés du médecin. Il ne pourrait pas parler comme tout le monde ? Ha merde. Je viens de tilter mais… les autres non plus, je ne les comprends jamais. Déjà plus que lui, mais c’est très loin d’être la joie quand même… Ouais, puis même moi, je ne me comprends pas. Bon. J’suis pas dans la merde. La survie, ce sera pour plus tard, aujourd’hui, on se consacre à l’anarchie. C’est-à-dire ? Une tentative de sociabilisation. « Je ne sais pas, je ne m’en souviens pas. »
Il se relève. Vraisemblablement, il veut se casser d’ici. Avec moi. Beaucoup d’informations me dérangent. Dans un premier temps : (oui, je dresse une liste de mes pensées depuis tout à l’heure, ça vous pose un problème ? Vous êtes dans ma tête là, vous n’avez rien à redire) Il a le droit de faire ça ? Je veux dire, il travaille là nan ? Il a le droit de se casser sans prévenir personne, d’abandonner son cabinet comme si c’était lui le patient et non le docteur ? Et de deux : merde quoi, j’ai l’air si sociable que ça ? Pourquoi les gens me collent-ils toujours ? Il veut qu’on aille où ? Par pitié, pas chez moi. Je ne veux pas qu’il me colle au baskets toute la soirée. Il a l’air vraiment gentil, et je l’apprécie. Il est drôle. Mais ce n’est pas pour autant que je veux engager de réelles discussions avec lui ! Je ne sais vraiment pas envoyer les bons signaux corporels je crois, faut que je le travaille un peu plus. Et que je trouve un moyen de me débarrasser de ce type. « Moi, c’est Emile ! »
Et voilà qu’il me déboite l’épaule. Par réflexe, je la masse doucement. Il pose trop de questions en même temps, mon cerveau peine à tout enregistrer. Il me parle de sa sœur. Il a une sœur ? Comment ça ? Des gens viennent en famille à l’Entre-Passe ? Cela doit être gaie dit donc… Vous imaginez, vous vous retrouvez bloquer à Ciranne avec votre oncle beauf ? Celui qui vous fait constamment soupirer pendant les repas ? Mon p’tit doigt me dit que c’est à peu près ce que je suis en train de vivre… « Oui, j’ai essayé. Mais je trouve ça plus intéressant d’observer les phénomènes sociaux qu’il y a entre plusieurs petites créatures de papier. Ça m’aide à me calmer, et à comprendre un petit peu plus certaines des réactions des autres personnes dans la vie de tous les jours. » Même si je crains ne rien pouvoir faire pour lui. Même avec toutes les créatures de papier du monde, je ne suis pas sûr de réussir à le comprendre.
« Je veux surtout savoir comment on tabasse son don ! » Pour l’instant, c’est ce qui me fait tenir. Que je le veuille ou non, il a réussi à piquer ma curiosité, et ça me frustre un peu. J’essaye de me persuader que je veux fuir, mais je vois bien que ce n’est pas le cas… Quelle triste vie. Enfin mort. Bref, j’suis paumé. « Je veux bien à boire ! » Manger, ce n’est pas mon truc, j’trouve ça ennuyant, ça demande trop d’effort au niveau de la mâchoire. Je crois qu’Ichor commence à déteindre sur moi, je pense un peu bizarrement. « Tu as le droit de quitter ton poste ? »
Faut croire que t'avais posé la question de l'mort qui tue - haha t'es si hilarant, vous êtes tous morts -. Le gamin semblait encore plus perdu et t'avais vraiment du mal à croire à son explication - mensonge - comme quoi il parlait seul pour ranger sa tête. Car plus ça allait, plus certes il t'intriguait mais t'étais sûr qu'il pouvait causer aux aliens ! Quel gosse passe du rire aux larmes en étant si mort dedans ? Pas tous les gosses que tu croises en tout cas. La plupart sont des piles sur pattes inarrêtables. Lui, fallait presque que tu le portes comme un sac à patate en dehors de la pièce. Tu voulais pas le presser, mais tu voulais pas non plus attendre 20 ans qu'il se bouge le cul. Si Blanche venait à te chopper à te faire le malle avec un patient alors qu't'es censé bosser, ça s'rait sa faute, à la tête rousse !
Tu t'sentais un peu con, t'avais oublié qu'il était frêle, le Emile. C'était son prénom et t'aurais presque eu des frissons surtout que tu v'nais subitement te rappeler que tu l'savais déjà. T'étais juste tellement teubé que tu l'avais déjà oublié. T'espérais que son épaule allait pas se décrocher parce que bon, là t'serais salement dans la merde. Tu tends l'oreille à ses paroles, descendant calmement les escaliers en veillant à ne pas perdre l'angelot, saluant quelques têtes que vous croisiez ci et là, le sourire aux lèvres. Tout l'monde te connaissait ici et plus ou moins tout le monde t'aimait. Tu étais la hantise des introvertis, des ermites et autres cas comme ton grand-frère qui se cache des interactions sociales. Un peu comme c'gosse. Et ça t'frappait encore plus quand il t'parlait de son don via ce spectre-ci. Ils étaient conscients, ses bébés renards ? C'est trop classe ! T'avais des étoiles plein les yeux, t'arrêtant aux pieds des escaliers enfin arrivés à l'accueil.
« Woah mais c'est trop bien ! Tes créations ont donc une conscience ? Il se passe quoi si tu mets des petites avec des plus grandes ? Est-ce qu'elles vont faire comme les Humains et se tabasser ? »
Son don était si intriguant ! Pour les relations sociales, t'savais pas si tu pouvais aider. Toi, t'allais juste voir les gens et c'tait plié. Tu finissais par te planter devant la machine, avant de lever les yeux au plafond, dépité. MAIS QUI ETAIENT LES CONNARDS QUI BUVAIENT TOUT LE JUS DE BETTERAVE BORDEL ?! C'tait ton privilège, TA boisson que t'avais bataillé avec Mamie Cicérone pour l'avoir et visiblement tous les débiles du coin la torchaient ! Sauf que eux, c'pas vital, toi si !
« Mais ils me cassent les couiiiiiiiiiiiiiiilles à vider le jus de betterave ! Ah... Bon au moins, y'a encore des infusions au gingembre. J'vais les laisser se démerder avec Cicérone aussi, ces cons pour avoir leurs boissons de privilégiés, là... »
Tu laissais la machine couler ton infusion, riant doucement à l'entrain d'Emile à l'idée de tabasser son don. Le silence s'installait un cours moment, la machine ayant entre-temps fini ton infusion.
« Tu voudrais quoi, y'a un peu près de tout ! Tu devrais normalement trouver ton bonheur ! »
Tu lui affichais un sourire amical, venant te masser le menton un court moment.
« Hm... T'as d'jà essayé de personnifier ton don ? Lui donner un visage, une forme tangible que tu pourrais frapper ? Ou avec qui tu pourrais dialoguer pour comprendre ce qui t'empêche de t'améliorer ? »
C'tait certes un peu étrange comme question, mais t'avais pris c'biais là toi à l'époque. T'arrives mieux à comprendre avec du concret, p't'être que lui aussi ? Tu regardais autour de toi, faisant un « shhhh » de tes lèvres.
« Non mais j'm'en tape. Blanche est pas encore là et Mamie Cicérone non plus ! »
Epaule encore bien accroché, j'écoute ce drôle de personnages parler. Il me fascine vraiment. Il a un côté presque… amusant, mais je ne saurais pas réellement dire ce qui me fait rire dans sa manière d’agir. Il y a trop de choses, je n’arrive pas à faire le tri. Est-ce qu’il fait cet effet-là à tous les gens qu’il rencontre ? En revanche, pourquoi tout de suite penser à la violence ? Etrange… Je n’en sais rien, il aurait pu me parler d’une jolie reconstitution d’un bal, de renards qui dansent la macarena, ou même de pot de confiture qui cherchent à se reconvertir en tapis de salle de bain ! Il y a tant de possibilité, et la première qui lui vient à l’esprit, c’est la castagne… Bon, après réflexion, ça aurait vraiment pu être pire. « Oui, c’est totalement possible. Mais j’avoue que j’aimerais éviter, ça me fait un peu de la peine que mes créations s’entretuent. »
Puis, si je n’en ai pas envie, elles ne le feront pas. Dans la logique, sauf si la petite voix dans ma tête me susurre des trucs pas cools, ou que je suis plongé dans une grande angoisse, ou paranoïa. Je ne contrôle plus rien dans ce genre de moment, pas même mon don. Enfin, si. Je pense beaucoup trop vite parfois, je n'arrive même plus à me suivre là. Je le contrôle, mon don. C’est juste que je me met à faire des trucs bizarres que je ne ferais pas en temps habituel, comme organiser une guerre de papier. M’enfin bref, ce n’est pas important, puis je n’aime pas penser à tout ça, ça fait tâche.
Voilà qu’il s’emporte pour un jus de betterave. Mes yeux s’imprègnent d’une touche d’incompréhension. Les gens sont vraiment… compliqués. Comment peuvent-ils passer du rire, à l’énervement, puis à nouveau au rire, et tout cela sans aucune transition ? Nan, enfaite, je crois que c’est plutôt lui qui est étrange, je n’ai jamais vu un phénomène pareil. Mais tant mieux, j'aime bien ce qui est différent, ça me met déjà un petit peu plus à l’aise. Mes yeux parcourent les multiples propositions d’infusion. Ouais, j'aime bien les infusions, ça me réchauffe le cœur, ça me donne du courage. Je finis par en choisir une au citron, simple, basique, efficace. « Hmm… Non, je ne crois pas. J’imagine beaucoup de choses, mais pas ça. La communication, ce n’est pas vraiment mon fort… Tu l’as déjà fait toi ? Tu lui as donné quelle forme ? »
Un petit rire m’échappe lorsqu’il me confie qu’il n’a pas à quitter son poste. Il doit en faire voir de toutes les couleurs à « Mamie Cicérone » c’lui là. Je ne sais pas trop quelle forme je pourrais lui donner… Parce que ce serait vraiment fun de le tabasser quand même. Pourtant, je ne suis pas violent. Mais pour tout le mal qu’il me fait, je peux bien lui décrocher une patate ou deux ! Puis, j'suis un gosse et un peu une victime, il ne sentira rien. Je récupère ma boisson et ajoute : « T’es drôle comme personnage. C'est un compliment.»
